Le 10 avril 2021, mon père est décédé des suites de la Covid-19. En raison de la bureaucratie méprisable Néerlandaise, à l'âge de 95 ans, il n'était toujours pas vacciné, pas plus que l' infirmière qui l'a infecté. Sous la photo, vous trouverez mon propre In memoriam.
Hans van Os, 26 mars 2021, à l'orgue de l'Ancienne église Sainte Hélène, à Aalten (photo Paul Kerkhoffs)
"Ohne Musik wäre das Leben ein Irrthum." écrit un philosophe Allemand.
Sans musique, la vie est une erreur.
Voilà pourquoi, dans ce "In memoriam", je propose un petit concert, en paroles, dans l'ordre chronologique, en commençant par le plus ancien compositeur.
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Mon père se promenait à Amsterdam avec un ami organiste, Espagnol. Ce dernier lui demande:
— C'est elle, l'Ancienne Eglise ?
— Oui
L'Espagnol s'agenouille sur l'emplacement sacré où Jan Pieterszoon Sweelinck a été organiste pendant 40 ans.
Contrairement à beaucoup de Néerlandais, il sait que Sweelinck était le parrain de la tradition musicale d' Allemagne du Nord.
Avec une dévotion typiquement Espagnole, il sanctifie sa musique.
Un Néerlandais ne vas pas exprimer cela, mais il va bien le ressentir.
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L'organiste et son instrument : il en jouait, grimpait dedans pour l'accorder, le réparer si nécessaire, trouver un oiseau coincé dans un tuyau, et tapper du pied sur les soufflets quand l'orgue n'a pas de moteur électrique.
Les archives ecclésiastiques et provinciales sont consultées pour tout connaître sur l'historique de cet instrument.
Voilà pourquoi des livres et une encyclopédie des orgues furent publiées.
C'est grâce à lui que, tant dans l'église du Sud que dans celle de Sainte Hélène, un orgue remarquable fut installé. Aalten peut en être fier.
Et voilà pourquoi mon père fut intégré dans l'ordre de Orange-Nassau.
Je peux participer en l'accordant, et en tournant les partitions.
Le dimanche matin, je roule, enfant, avec mon père, vers Vorden, où il est organiste. Il est agréable de suivre le service religieux du balcon d'orgue. J'appelle l'église du Sud, à Aalten,
depuis que je sais parler, la "gymmetiek" [salle de gymnastique], ce qui n'est pas un compliment pour son architecte.
Cependant, il y a une limite pour l'amour de l'organiste envers son instrument. Le compositeur Danois Dietrich Buxtehude est , à son époque, organiste à la Marienkirche à Lübeck qui possède un orgue exceptionnel.
Agé, Buxtehude cherche un successeur. Georg Friedrich Händel se rend à Lübeck, de même que Johann Sebastian Bach, qui lui, arrive à pied, pour écouter l'orgue.
La condition est que le nouvel organiste épouse la fille de Buxtehude. Ceci effraie de nombreux candidats, car elle est beaucoup moins séduisante que l'orgue.
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C'est le dimanche de Pâques, et la radio retransmet la Passion selon Saint Matthieu, de Johann Sebastian Bach. Je peux à peine lire, mais je reçois la partition dans les mains,
pour suivre la musique. Cette partition m'a impressionné, et m'impressionne toujours aujourd'hui.
Bach écrit cette partition avec désinvolture. Un compositeur qui a besoin d'un clavier pour composer, il appelle un chevalier de clavier.
À la maison, il n'y a pas d'orgue, mas bien un clavicorde créé et construit par Franz Lengemann en Allemagne. Je suis présent lors de la réception du clavicorde.
Monsieur Lengemann dispose d'un grand espace de travail, où il fabrique ses instruments. Dans un coin, il y a une cage avec un hamster.
Ce dernier y tourne inlassablement dans sa roue, reliée à un aiguiseur ...
Johann Nikolaus Forkel, le biographe de Bach, parle de lui et de la différence de toucher le clavicorde et l'orgue.
Il connaît seulement 2 personnes qui jouent vraiment bien de ces 2 instruments: Johann Sebastian Bach et son fils Wilhelm Friedemann.
Il nous dit: "Quand j'entendais Wilhelm Friedemann sur le clavicorde, tout n'était que grâce, subtilité et insouciance.
Quand je l'entendais jouer l'orgue, j'avais des frissons.
Sur le clavier, tout était subtilité, sur l'orgue, c'était grandiose et solennel.
C'était comme chez Johann Sebastian Bach, mais dans une forme de perfection encore supérieure."
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Via le bel Andante con variazioni de Joseph Haydn, joué au piano, à la maison, nous sommes tombés directement dans les concerts de piano de Mozart.
En revenant à la maison, en voiture, j'écoute, avec mon père, le concert de piano 24 de Mozart. Arthur Rubinstein est le soliste. Ceci nous choque.
Ce n'est pas le Arthur Rubinstein dont je me souviens. Jusqu'à ce que je me rende compte que je me suis trompé de CD. Le soliste est en réalité Daniel Barenboim.
Nous sommes convaincus que Barenboim ne comprend pas Mozart. Même s'il a reçu, pour son interprétation, le Grand Prix du Disque.
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Quand on a toujours raison, mais que d'autres ne veulent pas l'admettre, cela crée de grandes tensions, et l'on ne se rend pas compte de la situation psychologique qui en découle.
Et l'incompréhension surgit alors des 2 côtés.
C'est encore plus marquant lorsqu'on ne joue pas un rôle, comme la plupart des gens, mais que l'on affiche franchement ses convictions.
Il n'y a pas d'autre option. Nous persévérons dans cette option .
Mon père comme mon grand-père ne jouait pas un rôle de professeur, tous deus l'étaient, en toutes circonstances.
Quand j'ai essayé de jouer Bach au piano, et que, pour la 3e fois, je jouais un F au lieu de Fis, une forte voix résonna dans toute la maison, en Fis.
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La phase suivante de l'histoire de la musique est le Romantisme.Et c'est un problème.
Il n'y a rien de pire qu'un orgue du Romantique. Ou pire encore, un orgue "romantisé" et, par là même, gâché.
Par dessus tout, mon père ne se sent pas capable de jouer les formidables sauts de la main gauche de Chopin.
Il existe cependant un parallèle. Il y a une lettre charmante écrite par Frédéric Chopin et Franz Liszt à un ami commun. Pendant que l'un écrit, quelques phrases, l'autre joue du piano.
Liszt corrigeait les fautes d'orthographe de Chopin et Chopin écrivait au sujet de Liszt.
— Je voudrais lui arracher des mains la façon dont il joue mes études !
Le Chopin réservé exaspère le frimeur de Liszt ... Cette exaspération face à tout ce qui n'est pas réellement et vraiment beau, a la maison, on l' assimilait avec les premières cuillers de panade.
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Après le Romantique vient l' Impressionnisme, Claude Debussy, Maurice Ravel, pas de musique Allemande, cette fois, mais bien Française.
Mon père jouait pour moi du Debussy, principalement l'étrangement belle Cathédrale engloutie.
C'est l'histoire, en musique, d'une légende Bretonne.
Une cathédrale, engloutie dans l'eau, réapparaît au cours de certaines belles soirées, lorsque l'eau est limpide.
On entend alors les prêtres chanter, les cloches sonner et les orgues jouent, sous l'eau.
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Sans musique, la vie est une erreur.